Vous croyez ?...
Parmi les choix offerts à l’homme pour préciser son niveau de conviction : hypothèse, supposition, opinion, idée, etc., la croyance tient une place particulière et tout à fait unique. C’est en effet la seule attitude humaine qui se structure sur l’absence totale de tout élément concret ou réel qui permettrait de la fonder.
La croyance s’emploie généralement au sens de croyance en Dieu. Mais on sait qu’on y a recours aussi dans les circonstances banales de la vie où elle n’est évoquée en général que dans un sens négatif, lorsque le résultat n’a pas été conforme à ce que nous attendions. Qui d’entre nous n’a dit, ou entendu un de ses proches dire, en parlant d’un tiers : « Je croyais en lui, j’avais une totale confiance, je lui aurai confié tout ce que j’avais. Pourtant il m’a trompé, il m’a trahi… ».
Mais en réalité, nous savons très bien que c’est nous qui nous sommes trompé. Car quelles que soient les raisons qui ont fondé notre croyance, en tel ou tel : son milieu, son caractère, son éducation, son apparence, la sympathie qu’il inspire, etc., aucune n’est une assurance que la personne en question sera honnête, fidèle, respectera ses engagements, ou que je pourrais toujours compter sur elle ! Et ma confiance n’est autre, en réalité, que celle que je souhaiterai placer sur tel ou tel, sans rien qui me garantisse jamais que cela soit fondé. Il ne faut donc pas s’étonner s’il arrive assez fréquemment des déconvenues et que cet être qu’on voulait exceptionnel parte avec la caisse ou séduise la compagne de son ami de toujours…
Dans la vie de tous les jours cela est cependant accepté comme faisant partie des avatars et des mauvaises surprises de l’existence.
Ce cas trivial met déjà en évidence qu’à partir d’éléments hétérogènes et non déterminants, on a construit une croyance qui finit par montrer ce qu’elle avait de limité, d’aléatoire et souvent d’erroné.
Quand on entre dans la sphère religieuse, le schéma de départ est grosso modo le même, mais s’il s’agit pour quelqu’un qui cherche sa voie, de trouver Dieu afin de donner une assise solide à sa foi, le problème est plus délicat et ne se résoudra pas, comme pour l’amitié bafouée, par la simple adhésion à une croyance basée sur les apparences d’un proche.
Prenons à titre d’exemple le parcours d’un postulant à une telle forme de spiritualité, pour analyser la succession des opérations qui peuvent aboutir à ce qu’un jour l’intéressé déclare : « Ça y est, je crois ! »
Au départ, le plus simple serait de trouver dans le monde matériel, une preuve évidente, une réponse sans ambiguïté, aux questions qu’on se pose concernant l’au-delà et le surnaturel. Malheureusement, la floraison d’une rose, les métamorphoses d’un papillon ou la contemplation d’un ciel étoilé, même si on y voit la main de Dieu, s’expliquent plutôt mieux grâce aux théories scientifiques que l’homme a su élaborer en peu de siècles, que par la crédulité fantaisiste qui sévissait jusqu’à des temps pas si éloignés ! D’ailleurs s’il existait dans le monde sensible une réponse à ce type d’interrogations, l’évidence se serait imposée à tous et plus personne ne chercherait d’explications hypothétiques.
À défaut que cette première phase ait abouti, l’apprenti dévot se verra conseiller par les maîtres à penser, dont c’est le fonds de commerce : « Cherche et tu trouveras… ». Autrement dit : « Trouve en toi les raisons de croire ». Là aussi, s’il y avait une réponse, la quête s’arrêterait et laisserait la place à la certitude, et chacun n’aurait plus qu’à enfourcher la rassurante conclusion ! Mais, comme cette nouvelle tentative nous le montre ce chemin, tout comme le précédent, ne mène nulle part. Alors notre chercheur doit se rendre à l’évidence : il n’y a rien, ni orbi ni urbi et toutes ces requêtes n’aboutissent guère, en guise de réponse, qu’à un terrifiant silence sidéral… Il ne reste donc plus, pour sauver la situation, qu’à espérer un miracle… ou, moins hasardeux, à inventer son propre système ce qui aurait pour avantage qu’il soit en bonne harmonie avec ce que nous cherchions. On n’est en effet jamais si bien servi…
A ce stade de l’investigation, on se trouve à vrai dire dans une situation que connaissent bien les amateurs de polars : le détective passe et repasse sur le lieu du crime et se dit avec de plus en plus de conviction : « Je sens qu’il y a un indice. Il m’a échappé jusqu’à maintenant, mais je vais trouver… ». Et en général il trouve et coince le coupable.
Ici rien de tel.
Mais malgré tout ce type de raisonnement va pouvoir servir, car il y a quand même une similitude c’est que notre chercheur de divin finit par se dire : « Je n’ai rien trouvé, mes questions n’ont pas de réponse, c’est vrai. Mais c’est sans doute que Dieu veut m’éprouver. Il n’est pas possible qu’Il n’existe pas. Il veut que j’aie confiance, que je croie et la récompense viendra plus tard… ».
Ce qui pourrait se résumer ainsi : « Il est clair qu’il n’y a rien, pas le plus petit indice que Dieu existe. Mais c’est un subterfuge pour m’éprouver. Il existe et donc je crois ! ».
On ne saurait imaginer pire mauvaise foi puisque cette pirouette consiste à asseoir sa certitude en l’existence d’un phénomène sur l’absence du moindre élément qui pourrait servir à sa mise en évidence. Pour peu qu’on ait un peu d’humour, reconnaissons que le fait que la foi ait besoin d’un tel recours à la mauvaise foi pour naître, ne manque pas de piquant…
Toutefois ce déséquilibre (la mauvaise foi, précisément) entre la conclusion et les motivations qui y conduisent est tel, que cela va induire toute une série de conséquences importantes.
L’intéressé lui-même, est conscient que, tout comme à l’auberge espagnole, il ne va consommer que ce qu’il a apporté ! Il sait bien en effet que le résultat auquel il aboutit, n’est rien d’autre que l’édifice qu’il a érigé lui-même. Mais considérée aussi crûment et avec objectivité, cette construction ne remplirait pas son rôle et s’effondrerait sur elle-même, privée en quelque sorte de fondations. Comment admettre en effet que l’on croie pour la simple et unique raison que l’on a décidé de croire ? Cela reviendrait à ne pas croire. Il va donc falloir étayer, consolider cette œuvre, lui donner ses lettres de noblesse, en faire quelque chose de présentable. Et pour cela, s’attacher plus à trouver des raisons accessoires, subsidiaires, indirectes de penser que cet aboutissement est justifié, qu’à considérer ex-abrupto qu’il l’est. C’est purement et simplement le travail de la mauvaise foi (ce qui la distingue radicalement de l’erreur ou du mensonge) : savoir que ce que l’on considère est contestable et s’attarder sur des faits secondaires connexes, plus acceptables, qui finiront par nous permettre de penser que le principal l’est aussi !
Et c’est ainsi que naît un croyant.
Mais ce système, d’une fragilité extrême, traîne derrière lui on va le voir, beaucoup d’inconvénients.
Autrefois, on croyait qu’il était possible de prouver l’existence de Dieu, de leur coté les athées se croyaient contraints à l’exercice inverse. A ces époques qui étaient celles de la toute puissance de l’Église et de la crédulité qui allait avec, on se gargarisa parfois avec des élucubrations qui nous étonnent de nos jours par la faiblesse de leur construction.
Ainsi la célèbre preuve de saint Anselme : « Nous avons l'idée de l'Être parfait ; la perfection comporte l'existence ; donc l'Être parfait existe » (voir Wikipedia), ce qui peut aussi se dire : « puisque l’homme peut concevoir quelque chose de si parfait que rien de plus parfait ne puisse être imaginé, il en résulte que Dieu existe ! ». C’est à l’évidence un raisonnement qui n’est pas dépourvu de clinquant, mais auquel il manque d’avoir une signification ! Toutefois, en un temps où il était imprudent de contester l’existence de Dieu, il a réussi à tenir le haut du pavé un bon moment.
Puis vint Spinoza et son « Ens causa sui », monstruosité logique qui attribue à Dieu l’extraordinaire capacité d’être cause de lui ! On a beau retourner cela dans tous les sens, on n’arrivera jamais à comprendre comment l’être peut naître du néant, à moins que le néant n’en ait pas été tout à fait un, auquel cas on est renvoyé au problème antérieur et ainsi de suite…
Pascal, scientifique, mathématicien, penseur et mystique sera plus prudent. Il avait découvert, entre autre, que Dieu pesait moins lourd au sommet du Puy de Dôme qu’au bord de la mer, et n’oublia pas qu’il était le créateur, avec Fermat, du calcul des probabilités (qui aboutira à la théorie des jeux). Alors il se contenta de proposer un « pari » qui revient à dire : « Vivons selon la morale. Si Dieu n’existe pas, on n’aura rien perdu, s’il existe on aura tout gagné ». On pourrait développer le pari inverse avec le même succès, mais reconnaissons au moins à Pascal la modération de sa proposition due sans doute au génie scientifique qu’il était.
Aujourd’hui, tout cela a fait son temps.
Toutefois, si nous cherchions une raison (et non une preuve) de penser que l’idée de Dieu n’est pas soutenable, c’est paradoxalement la croyance qui nous l’apporterait. La croyance, c’est en effet, le contraire de la certitude. Ce qui signifie que celui qui croit, montre par ce fait même qu’il n’a abouti à aucune évidence, réalité, ou garantie quelconque que ce qu’il avance avait la moindre vraisemblance. La première conséquence en est que la croyance est totalement incommunicable. C’est en effet une construction personnelle qui nécessite, comme toutes celles édifiées sur la mauvaise foi, qu’on la réactive sans cesse soi-même sous peine de la voir s’effondrer et de ramener celui qui baisse la garde aux dures réalités dont il voulait sortir…
Mais il en résulte que celui qui croit n’est véritablement à l’aise, ni avec lui-même, ni avec ses coreligionnaires, ni avec ses opposants.
Avec lui, parce que même lorsqu’il parvient à se convaincre que le système qu’il a érigé tient la route, des doutes subsistent quand même, d’une part à cause du sentiment que le résultat est loin d’équivaloir à une évidence solide et concrète et, d’autre part, sa tentative valant ce qu’elle vaut, parce qu’il peut craindre, malgré tout, de ne pas en avoir forcément tiré la meilleure conviction possible.
Avec ceux qui « disent » (cela ne peut qu’être « dit », puisqu’il n’y a aucun moyen de le prouver) partager sa croyance, parce qu’il peut toujours craindre que la piété ou la dévotion des autres soient mieux assurées que la sienne. Doute angoissant qui donne lieu aux scènes les plus désopilantes qu’on puisse observer dans les assistances religieuses, lorsque ces croyants font assaut de postures, mimiques, attitudes, gestes, destinés à montrer aux autres la qualité de leur foi. Il y a ceux qui jouent cela avec humilité, prosternés devant la divinité, comme conscients de leur insignifiance, ceux qui, la tête enfouie dans leurs mains semblent en proie à une méditation intense, d’autres les yeux au ciel, l’air ébloui, comme extasiés par la grâce qui leur est faite… En vérité on ne risque rien à imaginer que la plupart ont les mêmes préoccupations que tout le monde à savoir qu’ils pensent aux soucis que leur causent les enfants, à la voiture qu’il va falloir changer, ou à la maîtresse qu’ils retrouveront le lendemain après le week-end en famille !
Enfin, avec ses opposants, bien sûr, dont il sait d’avance que leur montrer la justesse de ses vues est tout simplement une mission impossible. Il est de fait on l’a vu, que la communication est déjà artificielle et guère plus qu’une simple connivence, lorsque le croyant est parmi les siens et que chacun, complice de chacun, feint de partager des convictions par définition incommunicables ; on se demande donc à quoi pourrait bien aboutir une confrontation avec quelqu’un qui rejette carrément toute croyance !
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On rétorquera à ce schéma que les croyants ne se posent pas ainsi les problèmes.
Voire.
Peu de croyants certes, mais c’est parce que peu d’hommes s’inquiètent de la foi, ou du contenu de la croyance. Ce qui est une façon édulcorée de dire que les plus nombreux ne voient pas le problème, ne se posent pas la question et se contentent de dire qu’ils croient quand on les interroge parce qu’ils pensent que c’est ce qu’il faut répondre sans même réaliser qu’une telle réponse n’a aucun sens.
Par contre, pour les très peu pour cent de ceux qui, classés dans les catholiques, ont cherché à aller au fond de leur conviction, disons qu’ils n’ont pu avoir d’autre démarche que celle schématisée ci-dessus. C’est-à-dire chercher une évidence et devoir ensuite, à défaut d’y parvenir, fonder à partir de rien, leur propre système. Aucun ne l’admettra, ce serait en quelque sorte démontrer la totale inconsistance de ce qu’il considère comme constitutif de sa foi. Mais aucun n’a non plus jamais donné d’autres indications sur un chemin différent qui mènerait au résultat qu’il prétend.
Quant aux quatre-vingt-dix et pas mal pour cent des autres, classés catholiques eux aussi, ceux qui lorsqu’on leur demande s’ils croient en Dieu, répondent : « Oui, bien sûr », « Sans doute », « Plutôt », etc., on peut être surs, comme on vient de le voir, qu’ils ne se sont jamais tracassés à ce sujet. Pour eux leur adhésion molle, c’est une sorte de réflexe pavlovien, une habitude, une résurgence du passé. Au mieux une précaution, un peu comme la mutuelle ou la S.S ! On ne sait jamais…
Mais cela signifie que l’Église règne non pas sur un milliard de chrétiens, comme elle le prétend, bluffant d’une façon éhontée, mais sur une infime minorité : ceux qui ont tenté de raisonner leur foi et ont tranché pour une soumission totale à Rome. Ceux qui, pour se faire ont dû, comme le disait Sartre, parvenir à se persuader eux-mêmes de croire qu’ils croyaient !
Les autres, la multitude, d’une totale indifférence, ceux qui ne pratiquent plus, abandonnent chaque jour un peu plus les sacrements, rejettent un clergé qui mérite de moins en moins leur confiance, mènent leur vie comme bon leur semble et surtout sans se soucier des règles et injonctions à prétention morale que pond le Vatican pour donner l'illusion qu'il prend des décisions, alors qu’il est le premier à savoir que personne, pas même les ecclésiastiques, ne les appliquera jamais…
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Alors, vous croyez ?... Nous non plus !
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Agnos
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